Sylvie Léonard-Seigneuret, artiste peintre

Mon bonheur c’est le moment où je dessine, où je me bats avec le matériau. Il y a une très grande intensité dans ce moment-là, qui vaut une journée de yoga, une espèce de voyage intérieur immobile.

Peux-tu te définir comme une artiste autodidacte ?

 Oui, on peut dire ça. J’ai eu le bac par correspondance et j’ai tout de suite travaillé. Je n’ai pas fait d’études malgré la terrible envie que j’en avais. Puis, je suis devenue institutrice et en même temps animatrice de théâtre. A 30 ans, quand mes enfants sont devenus plus grands, j’ai  commencé à faire des études à la Sorbonne : arts plastiques, théâtre, philosophie, cinéma. C’était pour le plaisir, pour combler un manque. Je suis devenue professeur de lettres et d’arts plastiques. Et puis j’ai continué, toujours pour le plaisir et j’ai passé le CAPES et l’agrégation. En tout, j’ai suivi des cours sur l’art pendant 15 ans tout en bossant, et en m’occupant de ma famille. En fait, je suis une autodidacte diplômée.  

As-tu vécu dans un milieu artistique

Oui. J’allais souvent au Louvre quand j’étais enfant. Le dimanche à l’époque il n’y avait personne et c’était gratuit.  J’avais une relation fusionnelle avec la Victoire de Samothrace ! C’était familier pour moi.  Et cela m’a nourrie.

 

Mais j’ai surtout été élevée par mes grands-parents qui étaient totalement dans l’art. Ma grand-mère était costumière et mon grand-père était comédien. J’ai passé pas mal de temps dans les coulisses, quand j’étais enfant.

La  femme aux anneaux, encres sur papier, 65x50cm

Ma grand-mère a fait des costumes pour la Scala de Milan, par exemple et j’ai vu défiler tous les costumes du Songe d’une nuit d’été, du Bourgeois Gentilhomme…. J’ai passé mon enfance dans un conte de fée visuel. Dans cet atelier il y avait aussi des dessinateurs qui venaient esquisser les costumes. J’ai vu Léonor Fini, Manessier. J’étais très jeune et cela ne m’a pas influencée directement mais j’ai respiré avec le monde de l’art. Ma grand-mère, qui n’a pas été longtemps à l’école, était très douée. Elle trouvait toujours l’idée pour la réalisation à partir d’un dessin. Elle avait une forme d’intelligence manuelle et artistique.

Après, j’ai totalement quitté ce milieu. Cela s’est arrêté très vite. Je suis passée dans un autre monde et cela m’a beaucoup manqué.

 Mais je continue à dessiner et à écrire.

Par exemple, hier j’étais à un stage « fripes et transformation » organisé par Marie la couturière du HTH. Je me suis régalée en inventant des costumes avec des vêtements détournés.

 

 

 

 

 
Le comte de katphalzar et sa famille

Quand as-tu commencé une pratique artistique ?

Pendant ce temps d’études et de travail, je ne dessinais pas. Personne ne nous demandait de dessiner. On nous sollicitait pour des pratiques qui ressemblaient plus à de l’art conceptuel.  Du coup, quand je suis venue à Montpellier pour former les enseignants en arts plastiques, je n’ai eu qu’une envie : reprendre le dessin à zéro, là où je l’avais quitté à 15 ans. Je suis allée à l’atelier Bojidarka quasiment en arrivant ici, cela fait maintenant 20 ans. Chez Bojidarka j’ai commencé à faire ce que j’aimais faire avec mon petit crayon et mes croquis. Puis, j’ai petit à petit trouvé ma technique personnelle venue de contraintes que je me suis données moi-même.

http://www.bojidarka.com/

Quelle est cette technique personnelle ?

Je voulais dépasser le dessin traditionnel. J’ai commencé à dessiner avec du café, du brou de noix, de l’encre de Chine. J’avais aussi des encres d’écolier que je traînais de déménagement en déménagement, des petits pots que j’avais pour remplir mes stylos lorsque j’étais môme, des choses que je n’avais jamais jetées. J’ai donc commencé à dessiner avec cela, par paresse. Auparavant, lorsque  je dessinais à la pierre noire, mon plaisir était de dessiner les reflets, les contre-reflets, les ombres chaudes, les ombres froides  et cela me prenait des heures et des heures. J’ai constaté qu’avec un peu d’encre bleue et de brou de noix, je pouvais faire des ombres chaudes, froides très vite.

Kulu Be Ba Kan

 J’avais une grande frustration de ne pas savoir travailler la matière. Je n’ai pas appris puisque je n’ai pas fait les beaux- arts. J’ai une passion pour les peintures rupestres, les jeux d’encre de Victor Hugo, la calligraphie chinoise que je n’ai jamais pratiquée mais qui me fascine. J’aime les artistes qui travaillent la matière. J’aime lorsqu’il y a un hasard comme chez Miquel Barcelo dans son travail sur l’estuaire du Niger.

D’un côté,  les jeux d’encres que je faisais par paresse, de l’autre ma fascination pour la matière. Alors j’ai commencé à expérimenter ce qui se passe lorsque tout ceci s’interpénètre, coule, se diffuse. Et voilà. Au bout de dix ans de bredouillement totalement gratuit, je suis arrivée à cette façon de faire.

                                        
   Bain de soleil, encres sur papier, 50x40cm

Je dessine très vite. Pas de dessin préparatoire, pas de repentir, je ne reviens par sur mon travail. Je commence mon dessin au feutre, quelques traits. Puis avec des gros pinceaux moches, je place mes encres.  Et puis je prends le calame et l’encre de Chine et je dessine dans les encres de couleurs encore mouillées. Le résultat m’échappe toujours en grande partie, avec des surprises étonnantes. Je ne maîtrise rien. Mais quelque fois, il y a un petit miracle qui émerge : un regard émouvant, une présence. Une suite de hasards qui provoque quelque chose qui me touche, qui touche aussi les gens qui regardent. J’ai toujours l’impression d’être en train de jouer avec le hasard.

Après c’est tellement mouillé que je ne peux pas prendre mes dessins tout de suite. J’attends plusieurs jours pour les récupérer et  les regarder. Je suis parfois déçue, mais quelque fois c’est un cadeau qui est là, qui surgit et qui me donne envie de l’encadrer et de le montrer.

Pourquoi des gros pinceaux moches ?

Parmi les contraintes que je m’étais données, il y a l’idée de récupération. N’ayant pas eu les moyens d’acheter du beau papier  j’ai utilisé du papier de verre, du papier kraft, des radios médicales, du liège, les cartons même s’ils sont abîmés. Je cherche le défi avec la matière, toujours, pour contrer un dessin qui reste très fin, très sensible. C’est dans l’idée d’utiliser des matériaux de récupération que j’ai gardé mes gros pinceaux moches. D’une certaine manière c’est une suite de nécessités qui m’a amenée à cette pratique.

 C’est devenu ma technique et c’est agaçant de n’avoir qu’une seule technique. J’ai peur de me répéter. Je voudrais atteindre une plus grande puissance plastique. J’aurais aimé être dans la puissance de la matière mais je n’ai pas trouvé le chemin pour aller par là.

Que t’apporte cette pratique ?

 Mon bonheur c’est le moment où je dessine, où je me bats avec le matériau. Il y a une très grande intensité dans ce moment-là, qui vaut une journée de yoga, une espèce de voyage intérieur immobile. J’ai l’impression que mon cerveau est un globe transparent. Tout circule : l’hémisphère droit, le gauche, l’émotion, l’intelligence, le regard, les silences. Ces moments sont très intenses. Je les provoque en allant à l’atelier. Je ne me dis pas « que pourrais-je inventer pour faire plus original ? ».

Chassezac, encres sur papier, 65x50cm

Je suis dans le faire, dans le non pensé, dans la non intention.

Je suis heureuse quand on m’achète un dessin, c’est un partage, un cadeau mutuel. Mais je ne travaille pas dans l’idée de vendre. Ma démarche est de l’ordre d’une méditation très intérieure. Cela me fait un bien fou… et ça m’épuise !

Tu dessines toujours en atelier ?

Je ne peux pratiquer qu’en atelier, chez Bojidarka. Dans cet atelier j’aime le collectif, l’atmosphère. Nous ne  maîtrisons ni le choix des modèles, ni celui des poses, ni celui du temps. Cela ajoute une complexité,  il faut s’adapter.

Pourtant, dernièrement, j’ai commencé à dessiner chez moi. J’avais fait deux salons coup sur coup et je n’avais plus le temps d’aller à l’atelier. Comme cela me manquait j’ai travaillé chez moi sur la base de photos. J’ai toujours gardé dans les magazines des photos des gens qui ont traversé des tragédies historiques comme en ce moment les migrants de Calais, il y a eu Sarajevo, le Darfour… Dans ces journaux  il y a toujours des photos avec des regards bouleversants. Je n’ai jamais pu les jeter.  Alors là, je cherche à retranscrire l’émotion. J’ai pris comme support des plaques de liège très grossières, et toujours avec mes encres. 

Pourquoi  les portraits, la figure ?

 Je ne pense pas que faire un portrait, c’est « mieux » qu’un autre type de représentation, qu’un travail abstrait, ou qu’une œuvre conceptuelle. J’ai beaucoup aimé tout ce que j’ai appris sur l’art conceptuel mais on n’en fait pas tout seul dans sa chambre. Il faut une infrastructure sociale que je n’ai pas. 

Dans cette pratique d’atelier à l’ancienne, j’y trouve une profonde humanité, dans tous les sens du terme. Beaucoup de gens me disent « mais là c’est vous ».  Alors que cela ne me ressemble pas. C’est comme si le dessin, par des chemins involontaires, opérait une fusion entre la personne qui pose et moi. Et au niveau émotionnel c’est pareil ; un mélange entre ce que la personne dégage à ce moment-là  et ce que je ressens. Il y a un entre-deux qui émerge. C’est curieux de voir comment on s’investit dans le dessin et comment on peut investir un état d’esprit  sans le vouloir.

La garçonne, encres sur papier, 65x50cm

Exposes-tu ?

Je commence à exposer. J’ai demandé à faire une exposition au salon de Teyran puis j’en ai fait un autre à Nîmes. J’ai un projet à Boisseron puis à Saint Laurent d’Aigouze.  Par le bouche à oreilles, des choses qui se font toutes seules. Mais cela demande beaucoup de travail d’organisation pour l’installation et de la présence sur place. Et, je fais toujours le parcours d’ateliers d’artistes des Briscarts, à Montpellier. Là je vends pas mal. J’ai toujours envie de partager, d’échanger… et de faire de la place pour d’autres dessins.

http://www.briscarts.com

Quels sont tes artistes préférés ?

Barcelo, comme je te l’ai dit. Et Ernest Pignon Ernest. J’ai beaucoup d’admiration pour son dessin et pour sa démarche. J’ai une fascination aussi pour Nicolas de Staël. Si on regarde bien un de ses tableaux de près l’abstrait émerge. Et quand on le voit de loin c’est la figure lisible qui apparaît. C’est une abstraction qui finit par donner une figure.

J’aime beaucoup aussi les jeux visuels de Dali et je suis attirée par les trompe-l’œil à deux niveaux comme l’ont fait certains peintres baroques et maniéristes.  J’aime l’art baroque dans ce qu’il a de complexe et de recherché, de mystérieux, aussi. Par exemple ce côté étrange, mystique et philosophique du Caravage.

Pour les jeux de matière j’aime Zao Wouki et Kandinsky, bien sûr.

Et ta période de l’histoire de l’art préférée ?

Je suis fascinée par la puissance de l’art préhistoire, des arts premiers. J’adore le travail d’Ousmane Sow, aussi.

Quelle est ta prochaine actualité ?

Je viens de lancer un programme de financement participatif pour publier un livre que j’ai écrit sur le street art à Montpellier. : MONTPELLIER STREET ART, aux éditions MUSEO. Il est déjà maquetté mais il manque à l’éditeur une partie du financement  pour l’imprimer. Je te donne le lien :

https://www.kisskissbankbank.com/montpellier-street-art-le-livre–2?ref=category

Ce sera mon dixième livre. J’ai écrit une collection d’ouvrages sur l’histoire de l’art et un roman sur l’histoire de Montpellier au Moyen-âge.

ÉDITIONS DU CHEVRE-FEUILLE ETOILEE

Marie de Montpelhièr, la terre, la chair, le sang, roman, 2017

 

 

 

 

 

 

 

 

ÉDITIONS CANOPE

Collection Petites Histoires de l’art

Il était une fois…L’art des origines, éditions SCEREN / CRDP de Montpellier, 2005

Il était une fois…L’art au Moyen-âge, éditions SCEREN / CRDP de Montpellier, 2005

Il était une fois…L’art de la Renaissance, éditions SCEREN / CRDP de Montpellier, 2007

Il était une fois…Baroques et Rococos, éditions SCEREN / CRDP de Montpellier, 2009

Il était une fois…L’art en Révolutions, éditions SCEREN / CRDP de Montpellier, 2012

Il était une fois…Les pionniers de l’art moderne, éditions SCEREN / CRDP de Montpellier, 2014

http://sylvie-seigneuret.com

 

Montpellier le 25 février 2018

 

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