Pierre Soyer, photo scribouilleur

 

 

« Dans un grain de sable voir un monde et le paradis dans chaque fleur des champs. Faire tenir l’infini dans la paume de la main et l’éternité dans une heure ». Ce sont des vers de William Blake qui m’accompagnent.

J’ai toujours été un contemplatif. Ayant l’esprit buissonnier, enfant, j’étais capable de rester des heures les mains sous le menton à regarder les nuages. Je me fabriquais mes images.

 

 

 
Pierre Soyer © Marie Thérèse Lannes

Nourri à la poésie de Jacques Prévert et à celle de Léo Ferré, mon monde intérieur s’est développé, tranquillement, bercé entre songe et réalité. La musique aussi eu une grande importance dans cette évolution. Les mots, la musique, les images ; des univers qui m’ont toujours attiré.

Peux-tu raconter comment tu t’es engagé dans la pratique de la photographie ?

Difficile à expliquer. Mais mon frère y est certainement pour quelque chose. Il avait transformé sa chambre en laboratoire photo. La fabuleuse chambre noire où la magie s’opérait. Je le voyais s’enfermer et ressortir avec de magnifiques tirages en noir et blanc. Oui, le virus a dû s’installer à ce moment-là. C’est lui qui m’a donné mon premier appareil. Un Nikkormat équipé d’un 35mm. Je l’ai toujours, comme un objet fétiche. Impossible de m’en séparer. Il m’a longtemps accompagné, et nous avons beaucoup partagé ensemble. Je me souviens du bruit au déclenchement. Il ne fallait pas compter sur sa discrétion, mais qu’importe.

As-tu suivi un enseignement artistique ?

J’ai appris intuitivement, ayant envie de faire partager mes joies, mais surtout, mes révoltes. Les déambulations dans les rues de Paris et les bords de Seine, à la recherche d’une image à la Prévert. La Bretagne aussi était un sujet de prédilection, la violence de la mer, les agressions des marées noires. Je me souviens bien de ces images. Il ne m’en reste plus grand chose aujourd’hui. Les tirages ne me convenaient pas. Ils étaient  fades. Je n’avais pas le savoir-faire.

A l’école, j’ai eu peu, si ce n’est aucun, enseignement artistique. J’ai étudié dans le domaine  technique, la physique et la chimie. Ce sont des rencontres qui m’ont fait découvrir d’autres univers. Par exemple : Léo Ferré en concert et la poésie de ses textes, la musique classique, les poètes.  J’ai découvert également le théâtre grâce à une prof du lycée. Puis, lors de mon service militaire un copain m’a fait lire plein de « classiques » comme Flaubert, Stendhal, Zola,  etc.  Ce sont ces rencontres qui m’ont construit. Et je continue d’absorber.

Fais-tu parti d’un groupe de photographes ?

Dès que j’ai commencé à travailler j’ai rejoint un club photo, Objectif Image. Là, j’ai appris le laboratoire mais aussi j’ai pu échanger avec d’autres. Cela m’a permis de faire évoluer ma technique et mon regard sur les choses. Influencé par Doisneau, mes déambulations dans les rues parisiennes ont repris. Le Père Lachaise, le vieux Paris laissant place aux promoteurs étaient mes sujets principaux.  La rue des Partants tu connais ?

J’ai passé de longues heures, enfermé dans le laboratoire, à modeler une lumière pour faire ressortir un nuage ou tout autre détail. La photographie est un révélateur, un langage, et le noir et le blanc s’est  imposé à moi.  

As-tu découvert des artistes qui t’ont influencé ?

Le véritable déclic photographique, si  l’on peut dire, s’est produit à la découverte des photographies d’ Edward Weston. J’en suis resté sans voix et ses photographies de poivrons furent un véritable choc. Comment une photographie, dont le sujet est à première vue banal, peut réussir à faire résonner autant de poésie ? Le photographe est celui qui sait voir ce que nous ne voyons pas. Selon l’angle sous lequel on l’observe, le monde peut être, en effet, très différent. Ce n’est pas l’objet qui est important, mais le regard que l’on porte. C’est la leçon que j’ai apprise.

Site d’ Edward Weston :

Home

La photographie s’est donc installée plus intensément dans mon univers. Edward Weston, André Kertesz, Jean Dieuzaide puis beaucoup d’autres. J’ai plongé dans la magie ; découvert des richesses, la créativité, la sensibilité de l’art photographique, et surtout envie d’en faire. Parallèlement, ma culture photographique s’est enrichie par les livres, les visites d’expositions, l’envie de découvrir.

Je suis curieux.  Comme une éponge, j’absorbe. J’observe ; j’écoute ; je sens. Je me construis avec ça. Je m’imprègne des œuvres des artistes. Je suis influencé par tout.

La pratique artistique est-elle essentielle pour toi ?

On a l’habitude de dire que la photographie permet de voir le monde différemment.

Percevoir les choses et ne pas seulement se contenter de les voir. Regarder de plus près l’acte photographique le permet. Je  photographie pour prendre le temps de regarder et pour transformer le banal. Mes images puisent souvent leur source  dans mon quotidien.  Photographier me permet de développer mon esprit créatif et de traduire mes émotions.

Développer une activité artistique permet d’affronter le quotidien différemment. On ouvre ses yeux, ses oreilles et on sent autre chose.  Créer c’est vivre. J’ai besoin de ça ; faire de la photo, écrire, écouter de la musique.

Il y a aussi une relation presque sensuelle avec l’appareil. Il se transporte comme un carnet de notes pour ramasser des petits riens du quotidien. Je l’ai toujours avec moi. Il m’accompagne partout. 

 Les évolutions techniques  ont eu une influence sur ta pratique artistique ?

Mon approche s’est métamorphosée avec le numérique. Je connaissais déjà le travail des photographes coloristes tels que John Batho ou Franco Fontana mais jusque-là la couleur était une composante supplémentaire difficile à gérer en laboratoire. Là je peux l’aborder. Il m’est plus facile d’intervenir dessus, lui donner le sens que je recherche. J’ai donc basculé dans l’univers numérique. Ce n’est pas l’image en couleur qui m’intéresse mais la couleur en elle-même, ce qu’elle nous fait ressentir. L’image s’adresse aux sens. Les couleurs aussi.

 

Selfie

Mais d’un point de vue technique, je travaille très peu mes photos. Je ne cherche pas à me réfugier derrière elle. J’aime capter les moments éphémères. Et si l’on voit plutôt le geste technique que l’image, alors  la magie n’est plus au rendez-vous, les sentiments sont absents.

 Influencé par la peinture abstraite, je me suis orienté à un moment vers un travail sur le paysage urbain proche de l’abstraction picturale : affiches, craquelures, murs. J’ai réalisé un port folio nommé «murmures » un travail pictural basé sur les balades de tous les jours.  

Je me sens comme un pêcheur d’éclats de poésie. Quand la lumière ébauche un instant, une forme, une couleur. Un peintre comme Paul Klee m’a beaucoup influencé.  En fait je n’aime pas ce mot  d’abstrait car ce que je photographie est bien réel et existe. Je transporte juste ce réel  dans un autre monde, un autre regard.

   

 

Lucioles #1

Dans ton dernier travail « le chant des lucioles » tu joins écrits et photographies, comment as-tu été amené à cette alliance ?

Quelque chose me trottait dans la tête depuis longtemps, lier la photographie et le texte. Le langage visuel et littéraire.

Je me suis construit à travers la musique et les mots. C’était peut-être l’époque qui voulait ça. Une part importante de mes émotions, de mes idées passaient par là. J’ai découvert la poésie par les musiciens et les chanteurs. Donc la beauté et la force des mots m’ont toujours passionné.

Si photographier n’est pas simple, écrire non plus. Mais rien n’est facile. Il m’a fallu combattre la force d’inertie qui m’empêchait d’avancer.

J’ai commencé lors d’un jeu avec le club photo.  Il s’agissait de prendre une photo  chaque jour pendant un mois. Je m’étais donné des contraintes, à savoir chaque jour  une photo en noir et blanc, accompagnée d’un texte. J’ai ensuite présenté mon travail sous la forme d’un calepin.

J’ai renouvelé  l’expérience un peu plus tard, mais là j’ai voulu plus particulièrement travailler le texte. J’ai travaillé sur la notion du temps. Chaque matin, dès le lever du soleil  j’ai réalisé une photo de ma fenêtre, le même point de vue, comme un rituel. Un port folio regroupe ces images, avec bien sur un texte en introduction qui décrit cette notion du temps qui passe. Prendre son temps pour ne pas le perdre. C’est une chronologie de matins qui défilent qui se ressemblent et qui sont en fait si différents.

 J’ai de plus en plus cette volonté de  faire rencontrer l’écriture et la photographie et je me  pose la question de la présentation des deux langages. Est-ce une photo avec un petit texte ?  Est-ce un plus long texte avec un port folio d’images ? Toutes les présentations sont différentes et pertinentes en fonction de ce que l’on veut exprimer.

Pour aller plus loin dans l’expérience j’ai participé, toujours au sein du club,  à un atelier photographie et écriture, sous la direction de Jean-Michel Verdan. Là, je me suis lancé dans un journal photo biographique. Pendant un an j’ai rassemblé presque chaque jour un texte (qui débutait à chaque fois avec le titre d’une chanson, celle qui nous trotte dans la tête) accompagné d’une photo. Des notes éparses qui ont évoluées vers le collage, alliant ainsi diverses formes artistiques.

Depuis  lors c’est quelque chose qui m’accroche. Chaque jour je fais autant d’images de moments qui m’éblouissent que de gribouillages  sur mon petit carnet.  

Au final j’ai réalisé «le chant des lucioles », un port folio comprenant 17 cartes, le produit de mes recherches sur la présentation d’un objet artistique liant écriture et photographie. C’est une construction poétique en un seul élément. Faire sonner les images et les mots en les organisant ensemble. Un brin de lumières poétiques.  Cet objet relie la lumière intérieure, celle du texte ; et la lumière extérieure, celle de la photographie. Les images ne sont pas là pour illustrer le texte, et le texte ne tente pas non plus de les expliquer. Ils cheminent ensemble, tout simplement.  

 

Lucioles ≠ 17

Pourquoi ce titre, le chant des lucioles ?

C’est juste une question de lumière. Celle des lucioles. A des moments particuliers, pour un oui, pour un non, elles nous apparaissent, l’instant d’un moment. Un instant magique.

 Le chant des lucioles, c’est bien sur un clin d’œil à Pasolini sur un texte célèbre datant de 1975 écrit quelques mois avant sa mort. Le chant des lucioles fait également référence à un essai  de  Denis Roche (Photographe, écrivain, éditeur) « La disparition des lucioles » réflexions sur l’acte photographique.

 En tant que photographe, les lucioles c’est de la lumière. Quand on croit qu’elle a disparu  il suffit souvent de faire un pas de côté pour la retrouver. Ou tout du moins de proposer sa propre lumière, et de créer une nouvelle luciole. L’image est poétique. La poésie nous en avons besoin quand il fait nuit dans nos têtes. Quand le quotidien se fait trop lourd sur les épaules, j’ai besoin de la poésie pour me redonner un peu de lumière. J’ai besoin de lucioles.

Car  c’est juste une question de lumière, celle captée par l’appareil à photo. Il y a le noir, présent, pour sa puissance expressive d’où jaillissent l’image et la couleur. Et il y a le blanc, porteur de lumière, la page blanche du texte, celle que porte l’écriture.  Les opposés aidant au jaillissement de plus de lumière. Le noir et le blanc s’auto-vitalisent. C’est juste une question de lumière et… de sensibilité.

  

Luciole ≠ 13

 

Ton exposition « le chant des lucioles » à la librairie L’Ivraie en avril 2017 est-elle ta première expérience ?

J’expose chaque fois que je le peux mes travaux que ce soit mes traces sur les murs, la chronologie du temps qui passe ou bien dernièrement les lucioles. Je donne le meilleur de moi dans ces photographies, je passe beaucoup de temps à leur conception. Oui j’aime bien pouvoir les donner à voir et écouter les retours.

Sinon je participe souvent à des expositions collectives. Comme «à  y regarder de plus près » sous la direction de Jean-Michel Verdan. Voir ce n’est pas regarder, cette exposition permettait d’exprimer justement son regard. On a exposé à la galerie St Ravy de Montpellier et au musée Hofer Bury de Lavérune.  Une grande aventure collective dont je garde toujours le souvenir.

Pourquoi une série d’images a – telle du sens ?

Ce qu’il faut retenir c’est l’intention du photographe. Ce qu’il veut montrer. Je pense qu’une seule image est rarement suffisante, je ne ressens pas assez l’auteur. Ce qui me plait c’est d’entrevoir le photographe derrière ses images, ce qu’il se raconte et me raconte. Avec une série de 3 ou 5 images il y a un début d’intention. Rien n’est dû au hasard, ni leur nombre, ni leur emplacement, ni leur format c’est l’œil du photographe, son regard qui est  derrière tout ça. C’est lui que j’ai envie de connaître.  Je m’exprime donc beaucoup mieux avec une série d’images.

 

Une prolongation de l’exposition « le chant des lucioles » est-elle prévue ?

J’ai proposé d’exposer le chant des lucioles dans d’autres lieux, j’aimerai augmenter le nombre  de photos exposées. A la librairie il y en avait une dizaine. C’était  un lieu idéal,  Les lucioles étaient accrochées au-dessus des livres.   Elles semblaient flotter dans l’air.

Faire une exposition c’est s’exposer, se montrer, se dévoiler. S’il y a un retour du public, j’apprends.

 Mais l’objectif d’exposer  n’est pas le déclencheur de mon travail.   Je travaille plus sur l’impulsion et les sensations. J’appuie sur le déclencheur au moment où il y a des choses qui me touchent. Cela vient de l’intérieur.  Derrière l’appareil il y a un œil.  L’acte photographique est aussi important que la photographie en elle-même.

 

Comment penses-tu poursuivre ton travail ?

Après une exposition il ne reste rien c’est éphémère. Alors, en parallèle j’aime faire des calepins qui restent. C’est important pour la mémoire et pour le partage. Les carnets peuvent être feuilletés et on peut prendre son temps pour les lire.

Je  continue ce travail sur l’intime, le quotidien, le temps et la mémoire. Choses qui m’interpellent. Plus précisément  je m’oriente vers la réalisation de livre d’artiste.  L’objet en lui-même comme œuvre d’art.  A l’intérieur je souhaite intégrer mes images et mes textes. Je suis exigeant sur ce que je cherche.

J’alimente les différents projets que j’ai dans la tête qui se construisent au fil de l’eau. Je suis toujours à l’affut de ce qui à tout instant peut solliciter une émotion. A la recherche d’une luciole et rendre la lumière à la manière d’un photophore.

 

Les photographes sont d’abord des voyageurs : comme des insectes en déplacement, avec leurs gros yeux sensibles à la lumière. Ils forment une troupe de lucioles averties.  

Denis Roche « La disparition des lucioles »

http://objectif-image.fr/OI/…/le-chant-des-lucioles-pierre-soyer-objectif-image-montpellier/

Pour entrer en contact avec Pierre Soyer, merci de laisser un message et je ferai le lien.

 

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