Lionel Camps, art’prenti
Je suis heureux d’avoir rencontré le dessin à ce moment-là de mon existence.
Il remplit ma vie avec la même densité que la musique.
Quelles sont tes pratiques artistiques ?
Je suis musicien depuis l’âge de 7 ans. Cela fait donc 42 ans, musique classique et jazz, mais aussi écriture musicale et bruitage pour des dessins animés. Mes instruments sont la basse et la clarinette. J’avais commencé petit à jouer de la clarinette, j’ai fait le conservatoire de Toulouse et je suis sorti avec mon diplôme à 17 ans. A l’adolescence, j’ai découvert la basse, l’instrument de mon choix.
Il y a un peu plus d’un an j’ai dû arrêter car j’ai des soucis d’articulation à l’épaule et je ne peux plus jouer. En même temps j’en ai eu assez de faire de la composition pour la TV.
J’ai découvert le dessin. En ce moment je ne fais que du dessin.
Quel élément déclencheur t’a incité à dessiner ?
Je ne pouvais plus pratiquer la musique. J’ai cherché une activité qui pouvait la remplacer, quelque chose qui soit prenant et qui m’accapare de la même manière. J’avais peur de l’espace libéré. Cela m’est déjà arrivé lorsque j’avais 20 ans suite à un accident. Il a fallu que j’arrête de jouer car j’avais perdu l’usage de mes mains, je me suis retrouvé en fauteuil roulant. Par la suite, j’ai pu rejouer et ça a été des retrouvailles magnifiques.
Du coup, de nouveau, j’avais la même appréhension et j’ai dressé une liste des choses que je n’avais jamais faites dans ma vie et qui pourraient peut-être me plaire. En dernier j’avais marqué le dessin.
Suis-tu un apprentissage de cette pratique ?
J’ai pris contact avec un ami qui dessinait et m’a parlé de l’atelier de modèle vivant de Bojidarka.
J’étais intimidé, et je suis arrivé à l’atelier sans matériel. Bojidarka m’a donné un papier grand format. Le modèle est arrivé. Quand elle est venue poser, j’étais ému. Cela a été quelque chose d’aussi fort que lorsque j’ai posé mes mains sur une basse. Une révélation ! J’ai rencontré le dessin par le modèle vivant et j’ai ressenti une sensation à laquelle je ne m’attendais absolument pas. Je ne cherchais pas à trouver quelque chose d’aussi puissant que la musique.
Cela fait partie des sensations les plus fortes de ma vie artistique. Cela a été une découverte, du réconfort, une seconde jeunesse.
Que recherches-tu ?
Je débute, je progresse et cela me motive. Je fais aussi des rencontres avec des gens sympathiques. L’atelier est particulièrement agréable. Boji enseigne le dessin d’une manière libre en donnant juste les indications nécessaires et imprègne une ambiance poétique. J’apprécie car j’ai appris la musique de manière rigoureuse et stricte. Ce côté libre tout en ayant les indications est aux antipodes de l’enseignement que j’ai eu en musique et il me convient particulièrement.
Quand j’ai pensé au dessin, je n’avais aucune idée de ce qu’était le modèle vivant. Quand j’étais en seconde j’ai pris une option arts plastiques car il n’y avait pas la musique, j’étais le vilain petit canard. Une fois j’avais fait un dessin que je trouvais chouette. Le prof m’a mis tout juste la moyenne et ça m’avait gonflé! A cette époque, je n’ai pas eu un contact génial avec le dessin.
Là, j’ai été surpris lorsque le modèle a pris la pose, j’étais muet. Profondément ému.
Quelles sont tes techniques préférées ?
J’utilise tous les outils qui me passent par la main ; j’ai commencé par le fusain, puis le pastel, le pan pastel, le stylo plume, l’aquarelle. L’aquarelle c’est lorsque les beaux jours sont arrivés et nous sommes sortis peindre en extérieur avec les amis de l’atelier.
Je me suis mis à la peinture puis à l’huile. Tout me plait mais j’ai des petits faibles pour le pan pastel, le stylo plume, la peinture. En ce moment j’aime bien mélanger. Travailler à la plume et au brou de noix, reprendre à l’acrylique et revenir avec des pastels ou de l’encre permanente. C’est instinctif.
J’aime bien être toujours dans le mouvement. Comme dans le jazz, j’aime cette liberté.
Par contre il faut travailler régulièrement. Souvent on parle de don moi je mets plutôt le travail en avant. En musique on parle d’une bonne oreille. En dessin on parle d’observer. Je compare la pratique musicale et celle du dessin, toutes les deux nécessitent de l’entrainement.
Comment travailles-tu ?
Je pratique au moins trois heures par jour, mais cela peut être plus cinq ou six heures. Quand je ne dessine pas, je regarde. En ce moment j’aime bien passer d’un médium à un autre car j’ai du mal à avoir de la force dans les doigts. Tous mes mouvements viennent de l’épaule. Je coince les instruments entre mes doigts ce qui fait que j’aime le mouvement. Je n’ai pas un trait appliqué. Quelqu’un comme Manara a un trait continu, fluide. Je préfère quand ça s’agite, ça déborde. Mais je débute. Je progresse et on me le dit à l’atelier, cela m’encourage. C’est stimulant.
J’aime le paysage, j’aime aller dehors lorsqu’il fait beau. Je travaille rarement sur photo, quelque fois pour faire des portraits d’amis.
J’ai lancé un petit sujet, un doigt et un visage pour capter des attitudes, dessiner des personnes proches. C’est formateur.
Récemment je me suis mis à la bande dessinée, c’est très nouveau, deux ou trois mois. C’est technique. Paradoxalement sans avoir pratiqué je pensais que la BD était plus folklorique que le nu. En fait j’apprends le nu d’une façon plus libre que la bande dessinée. La bd chez Nicolas l’autre atelier où je vais c’est très technique (narration, mise en page, support, médium). Ça couvre un large panel, c’est quand même moins instinctif. J’aimerais faire une bd sur le handicap, je n’ai pas envie de faire passer un message accablant néanmoins dire des choses et je pense que la bd est un bon média. J’ai des idées qui trottent comme tout simplement des dessins, sans paroles. Il faut se mettre au boulot.
Fréquentes-tu les expositions? Qu’est-ce qui t’inspire?
Oui j’ai toujours visité des expositions, dessins, photographies. Je suis quelqu’un qui aime regarder y compris les gens. Maintenant que je dessine je les regarde encore plus, je les analyse.
Je suis contemplatif pour les paysages, analytique pour les personnes. Il y a un truc qui me ferait kiffer, ce serait de capter le mouvement, l’expression et l’intérieur des gens plutôt que de faire un portrait fidèle. Je ne rechercherais pas le réalisme comme une photo. Il y a énormément d’émotions dans une ligne voire plusieurs lignes qui représentent le mouvement, le volume, enfin quelque chose qui bouge.
Aimes-tu des artistes particulièrement ?
C’est vaste, les brous de noix de Tiepolo, Soulages. Je suis attiré par le brou de noix, c’est sensuel parce qu’on est proche de quelque chose qui rappelle la peau, beaucoup de nuances mais on reste dans le monochrome. C’est une matière poétique. J’aime aussi Klimt, Miro, Bilal. J’aime tous les croquis de Léonard de Vinci, je les préfère à la Joconde. Je suis plus attiré par la spontanéité que par la perfection. J’aime quand ça bouge, la perfection fige. Je fais la même comparaison entre la musique classique et le jazz. La musique classique est figée parce qu’elle est très écrite, il y a beaucoup d’annotations et de directions dans les partitions. L’interprétation laisse beaucoup de liberté mais on reste dans un cadre serré. En jazz on a une partition qui peut être plus simple et il y a une part d’improvisation avec des interactions qui laisse la place à l’immédiateté. Et cela m’a toujours plu, ça met les gens en communication. Dans le dessin je retrouve cette dynamique dans la recherche du mouvement, du volume. Évidemment cela demande une certaine technique de travail dans le modèle vivant ou le paysage car les choses ne restent pas statiques comme pour une photo. Le modèle bouge, la lumière du paysage change aussi, et il faut capter le truc.
As-tu exposé ?
J’ai exposé deux trois dessins à l’atelier en fin d’année comme un gentil élève ! Je les poste aussi sur Facebook, j’ai des petits retours. Je n’ai jamais exposé, je suis débutant. Cela me plairait car lorsqu’on fait quelque chose il faut le montrer, il se passe des échanges. Je participerais volontiers à une exposition collective.
Espères-tu à terme avoir des revenus de ton activité artistique ?
Je n’ai pas de but ni d’aspiration lucrative. La musique est devenue un métier. Là, le dessin, c’est pour le plaisir. Parfois on m’a signifié clairement qu’un de mes dessins plaisaient, dans ce cas-là je l’offre. Toucher quelqu’un c’est aussi l’essence de la création.
Je suis heureux d’avoir rencontré le dessin à ce moment-là de mon existence. Il remplit ma vie avec la même densité que la musique.
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Entretien réalisé le 24 janvier 2019