Julien Vinber, photographe
Je pratique la photo en amateur depuis 2011. J’ai 36 ans.
J’ai une formation scientifique mais j’ai toujours eu besoin d’aller vers une sorte de créativité. Au départ, je ne connaissais pas du tout les domaines de la peinture, de l’écriture. Ils ne m’attiraient pas et je ne sentais pas avoir des capacités. Un jour une amie s’est mise à faire de la photo, j’ai vu son travail et j’ai eu un déclic. Pour moi la photo c’était les clichés de famille ou les belles images qu’on voit sur internet. Ce qui ne m’attirait pas du tout. Lorsque j’ai vu le travail de cette amie j’ai compris que l’on pouvait apporter autre chose.
As-tu suivi un apprentissage de cette pratique ?
Vu le prix des appareils photo j’ai voulu faire les choses bien. Je suis allé dans un club photo « Objectif Image ». Dans un premier temps c’était pour apprendre puis je me suis pris au jeu. J’y suis toujours. Dans ce groupe nous sommes encadrés et nous avons « des incitations » à produire. Tout seul, sans regard extérieur, le risque est de faire deux ou trois sorties puis d’entrer dans un processus d’abandon. J’ai voulu avoir un cadre.
Mon premier appareil était un bridge mais je me sentis très vite limité. Je suis allé sur du réflex. C’est du milieu de gamme. J’essaie d’avoir un minimum de matériel pour faire ce que j’ai envie.
La technique ne me pose pas de problème. Pour la mise en page et la composition, j’ai avancé avec le club grâce au retour des autres et à la présentation de leur travail. Je me suis orienté vers les photos qui me plaisent, j’ai éduqué mon œil. Je reste un scientifique. Mes photos sont carrées, il y a quelque chose de frontal. Dans la composition, je me sens mieux dans la symétrie que dans les fuyantes et les lignes diagonales. C’est inscrit en moi.
La pratique en club m’a beaucoup fait évoluer. Quand on commence, on a tendance à être seul. On montre les photos à son entourage mais les retours « j’aime ou j’aime pas » ne font pas avancer. Au club on est face à d’autres personnes qui connaissent la photo, qui ont d’autres expériences. Il y a une richesse de profils ; des gens qui font de la macro, du paysage, de la rue, du portrait, du studio. On bénéficie de regards différents et toutes les infos qui arrivent nous permettent de faire notre « sauce ».
Ton rapport à ta pratique artistique a-t-il connu un cheminement ? Lequel ?
Depuis 5 ans j’ai appris à construire un propos. Au début je sortais avec mon appareil et je prenais des photos, à droite et à gauche. Avec le club j’ai appris à construire un travail, c’est-à-dire avoir une idée et me donner les moyens de la réaliser. Dans tous mes projets, ceux que je considère comme vraiment aboutis, il y a cette notion de construction d’un vrai propos.
Les thèmes peuvent être différents mais il y a un certain nombre de constantes, par exemple l’absence d’être humain. Excepté ce que je fais en studio, mais là c’est de l’apprentissage.
Sur le thème des ruines l’image semble floue, c’est un jeu. J’ai utilisé une technique plus ancienne qu’on appelle le sténopé. Avec un appareil photo compact cela donne une photo floue. J’ai voulu jouer avec cela, briser le côté net de la photo. Aujourd’hui, dans la photo de paysage, on cherche à avoir les nettetés les plus grandes. Pourquoi ne pas revenir vers un style de photo plus ancien avec des flous ?
J’ai fait aussi des photos pour une exposition « à y regarder de plus près ». L’idée générale était de proposer une nouvelle vision d’objets qu’on peut rencontrer dans la rue et changer le regard sur ces objets. J’ai proposé un travail sur les pylônes électriques : « série croisement ». Ma démarche, regarder autrement un matériau qui semble moche. Je suis entré à l’intérieur de pylônes pour avoir une vision totalement à l’aplomb. Et cela donne des jeux de symétrie et présente des diversités. Cette nouvelle prise de vue permet de créer des formes totalement différentes, voire abstraites.
Peux-tu expliquer ou décrire ce que t’apporte cette pratique ?
La photo est un espace de création, d’expression et de construction car j’essaie d’élaborer un propos. Cette démarche m’attire.
Comment travailles-tu ? Peux-tu dire le temps passé par semaine ou par mois à cette pratique ?
C’est assez vague. Actuellement, je ne passe pas assez de temps. Je n’ai pas de régularité : lorsqu’une occasion se présente, j’y vais. J’ai fait dernièrement des photos lors du carnaval des Beaux-Arts, pour m’amuser. J’ai eu deux trois idées et je les ai mises en forme, c’est assez spontané. Du fait de mon emploi je suis surtout disponible le weekend. Par contre pour mon dernier projet « portraits » quand je vais faire des photos j’y passe une heure. Ensuite je fais de la retouche et je compte 2 à 3 heures de travail. http://www.indicible.fr/
Pourrais-tu en dire plus sur ce projet ?
Cette thématique est un projet initié avec le club. Il a pour objet de faire une belle exposition fin 2017. 17 personnes y participent. Chacune travaille sur ce qu’elle a envie de montrer à propos du portrait. Moi je fais le portrait de personnes au travers de leurs objets. Je considère que faire le portrait à partir du visage permet de reconnaître mais pas pour autant de connaître. Je propose de pousser le futur spectateur à se poser cette question : est-ce que le visage permet réellement de connaitre une personne ? Je tente d’apporter une nouvelle vision en montrant les goûts de la personne au travers des objets qu’elle choisit de montrer. Certains d’entre eux peuvent traverser toute une vie. Par exemple, beaucoup choisissent des peluches alors qu’elles sont adultes.
En accumulant neuf de ces éléments cela permet de tracer une idée de ce qu’est la personne. Au travers de ces choix la personnalité intime déteint sur la photo.
L’idée de ce travail sur le portrait est née il y a deux ou trois ans. Nous avions développé un projet « 31 ». Nous devions faire une photo par jour. Au début je ne m’étais mis aucune contrainte et le résultat a été catastrophique. Alors, je me suis fixé la contrainte de photographier un objet de mon quotidien chaque jour. En voyant ce travail j’ai vu que quelque chose se passait. Cela n’était pas anonyme. Et j’ai commencé à construire ce projet « portraits », plus abouti, plus carré.
Peux-tu préciser tes objectifs pour ce projet?
Hier j’ai photographié des personnes que je ne connaissais pas y compris des enfants. J’aimerais avoir le plus de profils différents. Le choix d’objets n’est pas neutre. Pour l’exposition, je devrais avoir une dizaine de photos à présenter. Mais, à titre personnel, j’aimerais quelque chose de conséquent, soit 30 ou 50 portraits.
Je n’aime pas dire les choses clairement. J’aime susciter une émotion, un questionnement, chez le spectateur. C’est une exposition sur le portrait. Sur mes photos il y a zéro personne humaine. Je présente des objets, pris presque cliniquement, comme un point de vue déshumanisé. Je dis aux spectateurs : « ce sont des personnes vivantes et allez les chercher ! ».
Chaque objet est choisi et il y a une raison dans ce choix. Cette semaine j’ai photographié quelqu’un qui fait une collection d’éléphants. Elle a choisi un éléphant qu’elle avait fait enfant. C’était la première pièce de la collection. Je ne demande pas la raison de tel ou tel choix de l’objet car je ne le mets pas en avant dans l’exposition. Mais il arrive souvent que les personnes me l’expliquent.
Te réfères-tu à une école, un groupe artistique connu ?
Non, pas vraiment. Je consomme beaucoup et je consulte des photos, m’intéressant à différents styles. Je les oublie mais ce qui me marque laisse des traces. Le travail est toujours inspiré par quelque chose. Mais je ne peux dire quel photographe se rapproche de mon inspiration. J’ai déjà vu des photos qui présentent un seul objet mais il n’y a pas une école. Mes projets sont assez ouverts, même s’il y a des lignes directrices ou des références implicites.
Peux-tu citer une œuvre que tu aimes particulièrement ?
En musique je retiens Dogora. Le cinéaste Patrice Leconte a particulièrement aimé une musique d’Étienne Perruchon. Il lui a proposé de faire un film sur une composition. Étienne Perruchon a créé alors une musique instrumentale et vocale. Il a inventé un langage et les textes sont incompréhensibles. En 2004 Patrice Leconte a fait le film dans la même idée, il n’y a aucune narration Il est allé au Cambodge et a fait des prises de vue. Le film s’appelle « Dogora : ouvrons les yeux ».
J’aime beaucoup sa matière brute. J’apprécie cette démarche atypique par laquelle il n’y a pas de message. Elle laisse le spectateur construire son propos. http://www.etienne-perruchon.com/
Vas-tu voir des expositions ?
J’essaie, j’aime bien consommer cela alimente l’imagination. Récemment je suis allé au vernissage d’une exposition de Vivi Navarro à Sète.
As-tu une période préférée dans l’histoire de l’art ?
J’aime bien les périodes passées, 19ème siècle, plutôt le début ; la fin du classique et les romantiques.
As-tu déjà exposé ?
J’ai exposé une première fois dans une librairie, à l’Ivraie, à Montpellier. Puis l’an dernier, au moment d’Images Singulières, à Sète. J’ai aussi participé à deux manifestations collectives.
As-tu déjà vendu ?
Une fois.
Vis-tu des revenus de ton activité artistique ?
Je n’ai pas pour objectif de devenir professionnel de la photo.
Soit le photographe est d’un niveau artistique élevé et vend une dizaine voire une centaine de milliers d’euros chacune de ses photos. En étant réaliste, je doute que ce soit mon cas. Sinon, c’est faire des photos de mariages, des photos d’entreprises. Il y a peu de boulot proposé et beaucoup de candidats. Ce n’est pas un travail gratifiant car on perd la possibilité de faire de la photo d’art ce qui est paradoxal. Je préfère rester au niveau amateur.
Ce mot amateur est perverti. Il désigne différents types de pratiques, cela prête à confusion.
Aujourd’hui dans le langage courant un amateur est celui qui n’est pas professionnel, qui fait « mu-Muse dans son coin », donc le résultat est forcément mauvais. C’est péjoratif. Pour moi, amateur, avant tout c’est celui qui aime et qui se donne les moyens. A contrario du professionnel qui doit faire ce que l’autre veut, l’amateur fait ce qu’il a envie de faire. Il a un autre type de production. Au club, certains font de la photo depuis 40 ans, ils ont plusieurs expositions à leur actif. Ils ont eu des prix.
Peux-tu compléter cette phrase « cette année j’ai l’intention de… » ?
D’aller jusqu’au bout de l’année ! C’est déjà pas mal, en me forçant un peu, je peux y arriver. En photo, continuer le projet sur lequel je suis actuellement. Je ne me projette pas beaucoup.
Peux-tu compléter cette phrase « je rêve de… » ?
Avoir l’occasion d’exposer. C’est un moment d’échanges avec les gens qui permet d’ouvrir les horizons.
Dans cet interview se trouvent 3 œuvres, peux-tu dire pourquoi tu les as choisies ?
Ce sont des photos qui correspondent aux trois projets que je considère comme aboutis ; séries cartes postales, croisement et portraits. Les deux premiers ont donné lieu à des expositions. J’ai amplement évoqué le dernier.
Ma série carte postale ; jouer sur le paradoxe des lieux estivaux pris en hiver. Montrer ces endroits autrement que par leur représentation traditionnelle en été. J’ai souhaité construire quelque chose au-delà de la photo. Le spectateur a la photo du même lieu en tête, mais en été. Je montre son pendant en hiver et je crée une interrogation. Ces lieux en été sont agressifs (chaleur, monde, lumière crue). Je les présente de manière apaisée ; il n’y a personne, les couleurs d’hiver sont plus douces. Pour apporter une unité à l’ensemble, j’ai uniformisé les teintes et la tonalité générale des photos prises en hiver ; soleil bas, voiles nuageux, lumière diffuse, ombres allégées.
Les travaux de Julien se trouvent sur : http://www.imparfaite.com/
et sur http://www.indicible.fr/
Entretien réalisé le 20 mars 2016