Hanifé Yilmaz, photographe
Je me nomme Hanifé et je m’intéresse essentiellement à la photo. Mais je suis aussi passionnée par tout ce qui touche à l’art. J’ai 45 ans et depuis que je me connais, que j’ai conscience de moi-même, j’ai une sensibilité à l’art sous toutes ses formes. Je me souviens des premières peintures, photos, des premiers films qui m’ont éblouie.
J’essaie maintenant de me donner plus de choses à voir, celles qui ont fait leurs preuves parmi toutes les œuvres qui sont connues, qui ont marqué l’humanité. J’ai remarqué que je ne connais pas grand-chose, je suis toujours en découverte de tout.
Tu pratiques la photographie, peux-tu dire pourquoi ? Comment ?
De la photo, j’en ai toujours plus ou moins fait en me disant « je vais faire quelque chose d’artistique ». Il y a un an et demi, des collègues sont venues me voir pour me dire « on voit que tu t’y connais en photo, tu pourrais nous enseigner quelques techniques ? ». Je me suis prise au jeu et c’est grâce à cette sollicitation que je m’y suis mise sérieusement. Avant c’était en amateur. Je le faisais toute seule et, maintenant le fait de montrer mes photos m’a fait évoluer. Le partage est un premier pas vers une autre étape. Je pratique plus à fond et de manière constructive.
Je fais donc de la photo depuis un an et demi de façon soutenue et systématique. Avant ça, ce n’était pas structuré. Maintenant, j’essaie d’aiguiser mon regard car pour la photo, il faut avoir l’œil. Tout ce qui est technique cela s’apprend facilement mais la technique ne fait pas l’art. Il faut avoir le regard.
Par ailleurs, je vais dans un club photo depuis quatre mois et je vois le travail de professionnels ou d’amateurs qui ont une longue pratique. C’est une façon de m’améliorer et de progresser plus rapidement. Je constate qu’il y a la technique et le regard et que des choses s’apprennent et ne s’inventent pas. La participation à un club où chacun à un style et une longue pratique me fait progresser. Je serais restée seule dans mon coin, je n’aurais pas appris un centième de ce que j’y ai appris.
Qu’aimes-tu dans la pratique de la photo ? Qu’est ce qui te séduit ?
Les photos qui me touchent sont celles qui captent l’instant, des photos spontanées de rue et de personnes. J’aime moins les paysages même s’ils sont beaux, ils peuvent faire carte postale, être jolis pour afficher sur le mur. Mais les photos qui me parlent sont celles où le photographe a saisi quelque chose dans le domaine du portrait, du mouvement, de l’expression, d’une attitude corporelle du sujet. J’aime les situations très spontanées, rien de posé, ni de construit. Plus cela parait naturel plus je trouve cela beau. Je privilégie la prise de vue, sur le vif, des humains, des animaux, l’expression du vivant.
La photo d’architecture, cela peut être original selon l’angle de prise de vue. Au travers l’architecture, il y a l’humain aussi, mais ce que j’aime c’est surtout l’expression directe.
As-tu suivi un apprentissage ?
Non, pas spécialement, ni pratique, ni théorique. Je me suis formée seule dans mon coin. Depuis que je suis au club j’apprends des choses que je n’ai pas apprises à l’école, ni dans les livres.
Je lis des ouvrages techniques. Ils analysent des œuvres photographiques. C’est instructif de savoir qu’on peut classer les œuvres selon les techniques. Par exemple on peut raconter beaucoup en filmant les ombres, c’est l’envers. Ce qui fait le style de grands photographes c’est qu’ils ont tous amené quelque chose de très personnel et ce n’est pas uniquement de la technique. Prenons une scène urbaine ordinaire : celui qui l’observe voit des choses statiques et des éléments qui bougent. Pouvoir rendre compte du mouvement c’est extraordinaire. Dans le cinéma c’est facile, dans la photo cela exige une recherche particulière.
As-tu une manière privilégiée de travailler ?
J’aime capter des moments, les instants fugitifs plutôt que les choses très construites. Et, même si c’est construit, j’aime bien que la photo donne une impression de spontanéité. Lorsque je fais des photos urbaines, j’aime aussi capter des détails.
Quel matériel utilises-tu ?
J’ai un réflex avec plusieurs objectifs dont je maitrise l’utilisation. J’apprécie la qualité de profondeur de champ qu’il permet mais j’estime que je ne lui dois pas mes meilleures photos. Comme j’aime le spontané, il peut m’encombrer, je prends donc beaucoup de photos avec mon téléphone portable qui fait des clichés d’assez bonne qualité. J’ai toujours cet appareil sur moi.
Peut-être un jour en viendrais-je à prendre des photos sur le vif avec mon réflex ce serait l’idéal.
As-tu une organisation particulière pour ta pratique de la photo ?
Je photographie lorsque je suis inspirée. Cela ne se mesure pas en quantité d’heures. A certaines périodes je ne touche aucun appareil.
Mais depuis que je fréquente le club je pratique plus régulièrement. Il y a des thèmes et des concours qui m’obligent à en faire plus même si parfois je manque d’inspiration. Le fait de participer à des concours oblige à plus de discipline. Je me rends compte aussi que je sais pourquoi je ne suis pas toujours contente de mes photos. Je progresse.
Je vais au club une fois par semaine. Nous échangeons sur ce que chacun fait. Il y a toujours une analyse des photos et même si tous les participants ne sont pas des professionnels, ils sont là depuis longtemps et ont un regard très aguerri, leurs avis sont précieux.
Peux-tu me citer un artiste, une œuvre que tu aimes particulièrement et me dire pourquoi ?
C’est Robert Doisneau car il prend beaucoup de photos de personnes. Il crée quelque chose qui semble non posé et rend compte de la vie. Avec son appareil, il fige des instants uniques.
Peux-tu citer une œuvre que tu aimes particulièrement et me dire pourquoi ?
Une œuvre de Picasso réalisée pendant sa période bleue. C’est un tableau qui s’appelle « la Contemplation ». Il fait partie d’une collection privée. Il représente un couple. L’homme, au premier plan, dans l’ombre, a la tête tournée vers elle. On ressent fortement sa présence. La femme est en arrière-plan, allongée. Comme elle est dans la luminosité, on ne sait pas si son compagnon la rêve ou si elle-même est dans son propre rêve, ailleurs.
J’aime sa simplicité même si elle ne me semble ni particulièrement soignée ou graphique. Je ne suis pas sensible à toute l’œuvre de Picasso, au cubisme par exemple, mais ce tableau me touche tellement que je me dis que Picasso vaut sa réputation, c’est un grand, il a sa signature. (vers « la Contemplation »)
Quel est le lien entre Doisneau, cette peinture et ce que tu aimes faire en photo ?
C’est la mise en scène. Ce n’est pas parce c’est spontané qu’il n’y a pas de mise en scène C’est un instant intimiste avec une mise en scène qui parle sans texte, c’est unique ce qui nous est raconté : un instant de vie.
On peut faire poser son modèle et un moment il s’abandonne et c’est ce qu’un grand photographe peut saisir, capter un instant où il ne pose plus. Dans son regard le modèle retourne à son intérieur et c’est ce que le photographe arrive à capter. C’est une histoire de millième de seconde et de bon moment.
As-tu un moment préféré de l’histoire de l’art ?
Je n’ai pas une grande culture ; quand je vais au Louvre, tout me semble riche mais je me rends compte qu’on ne m’a pas tenu la main. J’aime bien le 19ème siècle, les sculptures de Rodin, Camille Claudel, j’aime bien les peintres avant l’impressionnisme comme Corot.
As-tu déjà exposé ?
J’ai fait une exposition avec une collègue sur notre lieu de travail et une autre, éphémère, dans le club photo. C’est intéressant de voir des personnes s’arrêter devant les œuvres et faire des commentaires. J’aime cette expérience car je me rends compte que je ne peux pas être objective devant mes photos.
As-tu vendu des photos ?
Oui, à des collègues, pour couvrir mes frais. C’est troublant qu’une personne paie pour posséder ce que j’ai créé. Je m’étonne que des photos sur le marché de l’art se vendent 500, voire mille euros. C’est curieux, étonnant d’acheter un regard. C’est joli finalement. Le monde est plein de poésie, des artistes la captent et d’autres paient pour mettre de la poésie chez eux. C’est paradoxal, car la poésie est partout et quand c’est vendu en fait cela me gêne un peu. Personnellement, vendre avec profit pourrait me gêner. Je ne m’imagine pas vivre de mes photos. Les œuvres de Picasso valent des millions. C’est normal de les préserver mais c’est triste que personne ne puisse se les approprier.
Cela ne me choque pas de vendre au prix juste. Je pourrais me faire rémunérer pour mon temps de travail par un commanditaire pour un mariage ou un reportage. C’est la partie recherche artistique que je ne pourrais monnayer. Je ne me vois pas vivre de la vente de mes photos. Je ne pourrais pas non plus céder mes droits, me dessaisir de mon regard.
Si une photo plait, je pourrais en offrir une reproduction tout en gardant mes droits sur l’original.
Peux-tu compléter cette phrase « cette année je veux… » ?
Me lâcher un peu plus vers ce que j’aime faire en photo.
Mon projet est de partir en Turquie, cela va être des nouveaux paysages et atmosphères, des personnes différentes, essentiellement dans un milieu rural. Le fait de prévoir ce voyage en Turquie, en Mer Noire, sur la terre de mes ancêtres me structure et me rend attentive. Je me rends compte qu’avec ce projet de voyage mon moyen d’expression privilégié prend toute son ampleur. J’y vais sans me freiner, ni me contraindre. Pour moi, la photo est naturelle et j’arrive à l’articuler avec tout ce je fais. Tout est prétexte à la photo surtout pour moi qui aime le spontané.
Peux-tu compléter cette phrase « Je rêve de….. » ?
Je rêve que des gens s’arrachent mes photos.
Que j’arrive à transmettre au travers de mes photos, des choses jolies.
Que je progresse.
Que je transmette ce que je vois car dans le monde il y a une beauté qui est là indépendamment de nous.
Heureux l’artiste qui arrive à en rendre compte.
Les photos d’Hanifé se trouvent sur : https://hannyphee.picsart.com
Choix d’œuvres
J’ai choisi cette une photo parce je me promenais avec mon neveu et ma petite sœur. A un moment, il y a eu la pluie et nous avons couru. J’ai eu le temps de prendre une photo, il y a du flou, du bougé, on arrive à distinguer la silhouette de ma petite sœur qui tient mon neveu par la main. Il y a le dégouliné de l’eau devant l’objectif. Je trouve cette photo jolie parce qu’elle représente l’instant furtif et je la trouve poétique. Elle est graphique sans être organisée, c’est comme on se fait une représentation d’un souvenir, c’est fuyant. Elle me fait penser à une peinture impressionniste.
Celle-ci a été faite au jardin des plantes. J’aime la lumière, il n’y a pas d’objet et ce qui attire le regard c’est par où arrive la lumière. Le sujet c’est la lumière.
Sur cette troisième photo, je suis avec l’une de mes sœurs et nous éclatons de rire. J’aime la spontanéité de nos expressions. Il n’y a pas de retenue.
Entretien réalisé à Montpellier le 2 février 2016