Bojidarka Lutz-Tamiatto, artiste-pédagogue
On ne peut pas créer si l’on n’est pas soi-même, ensuite il y a la maîtrise, le métier.
Depuis combien de temps pratiques-tu ?
Je peins depuis mon plus jeune âge. Les moments où je n’ai pas travaillé j’ai fait plein de petits boulots, la vie de bohème quoi. Je suis vraiment dans un travail artistique personnel depuis plus d’une vingtaine d’années. J’ai monté un cours parce qu’aux beaux-arts je n’avais rien appris. Alors j’ai ouvert « l’atelier l’art en soi » avec l’espoir que je serais obligée de travailler.
As-tu suivi un apprentissage?
J’ai pris des cours aux beaux-arts mais je n’apprenais pas grand-chose. C’était du conceptuel. J’avais une heure de nu par semaine mais c’était insuffisant voire pas sérieux. J’ai créé mon atelier. J’ai appris grâce aux modèles que je faisais poser ainsi qu’à mes élèves. Certains dessinaient mieux que moi à mes débuts. Je mettais l’ambiance. Ma première modèle a été Dora et c’est elle qui m’a donnée envie de créer l’atelier.
Tu dessines principalement des corps, des nus, des portraits ?
Quand j’étais jeune je faisais beaucoup de paysages imaginaires.
J’aime beaucoup dessiner des ambiances d’intérieur avec des lumières mais le corps humain est tellement beau et vivant que je me suis orientée vers sa représentation.
Quelles sont tes techniques préférées?
J’aime bien travailler toutes les techniques mais par série. Le brou de noix, le fusain, tout m’intéresse. J’ai du mal avec l’aquarelle en raison de la difficile maîtrise de l’eau.
Depuis un an et demi j’approfondis la pratique de l’huile avec un travail abouti sur petit format. Je commence sur un fond noir et le corps sort de l’ombre.
Travailles-tu toujours avec un modèle ?
Quand je travaille chez moi je n’ai pas de modèle. Je regarde des photos et lorsque je suis touchée, je m’en inspire. Je laisse venir ce qui vient. Par exemple en ce moment je travaille sur l’ombre et la lumière. Dans ma peinture, j’arrive à faire sortir la légèreté et le mouvement. Cela entraine un beau contraste. Ma peinture est liée à ma vie. Beaucoup de peintres doivent connaître cela sauf ceux qui répètent des recettes mais je ne suis pas là-dedans.
Je me rends compte que ma peinture va avec ce que je vis. C’est une sublimation. Il faut que les émotions ressortent et soient transcendées. Les gens sont malheureux parce qu’ils n’expriment pas leurs sentiments profonds.
Est-ce ton activité principale ?
Oui, ma vie tourne autour du dessin de la peinture, de l’atelier et des cours.
Lundi, mardi, mercredi sont consacrés aux ateliers que j’anime. Le reste de la semaine est consacré à mon travail personnel. Le mardi je dessine aussi à l’atelier.
Ce travail d’atelier semble important pour toi, peux-tu dire pourquoi ?
L’énergie qui se dégage lorsqu’on travaille en groupe, tous concentrés, est puissante. Elle m’aide et me fait avancer. Je pense que seul on n’est pas grand-chose. Peut-être à moins d’être très souffrant comme certains d’artistes. Ils arrivent à travailler toute la journée comme des moines.
Je ressens que l’atelier est un milieu de partage, très simple. Il y a l’intensité du moment, un grand niveau de concentration, très détaché du regard de l’autre. C’est un milieu créatif, on en ressort épuisé et ravi.
J’adore travailler avec d’autres et continuer toute seule. Cela me procure une force qui me donne envie de continuer chez moi. Si je n’ai pas ces temps de partage mon énergie est moins présente lorsque je suis seule. C’est comme une trinité ; le modèle, le groupe et l’individu.
Qu’est-ce qui important pour toi lorsque tu fais venir un modèle ?
Ils doivent être sympas et chaleureux, se donner aussi. Ne pas venir que pour faire du fric. Qu’ils aient un intérêt à ce qu’on fait ensemble. Certaines femmes sont magnifiques mais sur l’estrade elles ne donnent pas grand-chose. Elles ont un beau visage, un beau corps mais c’est insuffisant. Il faut que ça bouge.
Quels peintres aimes-tu particulièrement ?
J’adore Bonnard, c’est un peintre de l’intime, de la maison et de la nature. Dans ses tableaux j’ai envie de m’allonger sur le divan, de manger la tarte qui est sur la table. J’aime les dessins de Léonard de Vinci, de Michel-Ange, cette période italienne et les classiques. J’aime Egon Schiele mais je suis particulièrement touchée par Bonnard.
Exposes-tu régulièrement ?
Oui, mais là j’ai besoin d’être aidée parce qu’entre les cours, mon travail personnel et ma vie privée je n’ai pas beaucoup de temps. J’aimerais avoir un agent.
Je suis bien dans ce que je fais. Je m’oblige à avoir des ambitions car autour de moi tout le monde me dit « vas-y, vas-y ». Mais ce qui m’importe c’est de faire ce que j’ai à faire, au jour, le jour. Si j’ai du succès tant mieux mais je ne suis pas motivée par l’intérêt d’être connue, reconnue. En revanche pour moi-même j’ai envie d’avancer. Je considère que lorsqu’on a quelque chose dans les mains, il est bon de travailler. J’ai envie de voir l’évolution. Je suis tellement contente quand mon travail plait à quelqu’un . J’aime faire plaisir avec un tableau.
Si on veut que le monde change on devrait tous créer car nous avons tous une fibre de créateur. C’est par l’art, la beauté, le partage, la simplicité et l’amour que nous allons changer le monde.