Claude Dhainault, peintre

 

ClaudeJe viens d’ Algérie, je suis arrivée en 1962 à Paris. J’ai été professeur d’histoire et géographie très longtemps.  Maintenant je suis à la retraite. Cela a un lien avec notre sujet. Je n’ai plus le temps de m’interdire.

J’ai commencé par le dessin il y a six ans au moment de la retraite, dès que j’ai été libre à plein temps. Je suis passée à la peinture il y a trois ans.  Maintenant je fais du portrait au dessin. Je peins aussi à l’aquarelle.

Tu écris par ailleurs ?

Oui, c’est mon cher sujet. J’ai un rapport particulier à l’écriture. Je n’ai pas de pratique personnelle car  je travaille uniquement en atelier d’écriture.  Je ne placerais pas l’écriture dans mes pratiques artistiques à la différence du dessin et de la peinture.

Comment as-tu découvert le dessin, la peinture ?

J’aimais beaucoup le dessin, j’ai assisté à beaucoup d’expositions de peintures, de dessins puis d’arts africains à Paris. En voyant les œuvres, je ne pensais pas que je pourrais pratiquer le dessin. C’était une approche de d’amateur. J’aimais beaucoup les dessins du 17ème,  surtout Rembrandt.  J’allais au centre culturel hollandais qui organisait au moins une fois par an une exposition de dessins hollandais. J’ai beaucoup fréquenté le Louvre aussi et Beaubourg depuis ses débuts.

Je rapproche le dessin du quatuor en musique.  Il y a une façon d’aller à l’essentiel avec peu de moyens qui m’enchante.

As-tu vécu un évènement déclencheur qui t’as incité à t’engager dans cette pratique ?

Quand j’ai été à la retraite j’ai eu vraiment l’idée de pratiquer. J’ai pensé que je pouvais m’y mettre pour le plaisir. C’était une révolution mais je vivais aussi la révolution sociale du passage de l’activité à la retraite.

 J’ai franchi ce cap d’un pas allègre,  je ne me suis pas posée tellement de questions. J’ai été très vite à l’atelier de Bojidarka qui enseigne le modèle vivant. J’ai aussi participé à des ateliers libres de modèles vivants le dimanche. Je n’ai pas été inhibée en entrant dans la cours des grands.

Ton rapport à ta pratique artistique a-t-elle connu un cheminement ? Lequel ?

J’ai senti l’éblouissement au bout de quelques temps ; celui de pouvoir  faire entrer un corps dans une page.  C’était un premier exploit. Progressivement je me suis bien rendue compte que faire était l’essentiel. Et j’ai fait avec quelques bonheurs même si je n’ai pas sauvé grand-chose de mes premiers dessins. Mais il y avait une espèce d’enthousiasme qui finalement est le principal lorsqu’on commence une activité.

Pour ce qui est du dessin ; pendant quelques années j’ai pratiqué avec un professeur. Puis j’ai travaillé en atelier de modèles vivants sans enseignement.  J’ai bloqué car je n’avais pas acquis de compétences techniques suffisantes. Je n’avais pas de consignes, pas de regard extérieur. A la fin de ces ateliers personne ne montrait son travail. Même l’apprentissage auprès des autres je ne l’ai pas eu. Je suis arrivée à une situation de blocage mais je garde le même goût pour le modèle vivant. C’est magnifique. J’y reviendrai.

J’ai décidé d’abandonner l’atelier libre pour l’instant et cela a libéré du temps pour l’aquarelle, le portrait et bientôt le  pastel. J’exploite actuellement d’autres techniques dans le cadre du portrait que j’espère exporter dans quelques temps vers le modèle vivant.

Par ailleurs je dessine beaucoup dans la rue, au musée c’est quelque chose qui continue à m’enchanter

J’ai plusieurs fers au feu. J’approfondis mon rapport à la peinture à l’acrylique, à l’aquarelle et je continue le dessin.  La première façon d’entrer dans la peinture est un croquis rapidement jeté. Maintenant je sens que j’ai besoin d’aller vers des techniques mixtes. Actuellement j’écarte la peinture à l’huile elle nécessite une longue temporalité du fait des temps de séchage qui ne me convient pas.

As-tu fait des rencontres qui t’ont fait avancer ou évoluer dans la réalisation de cette pratique ?

Oui souvent des pédagogues. J’ai eu besoin d’accélérer l’acquisition des techniques. La pédagogie fait avancer car elle répond à des problèmes qu’on mettrait du temps à percevoir et à corriger. Autre rencontre ;  une amie Claire avec qui je travaille avec beaucoup d’enthousiasme. En somme ces rencontres avec des personnes qui partagent cet intérêt me stimulent beaucoup : elles développent  des affinités et ouvrent sur de belles amitiés. Les regards croisés sur les travaux permettent d’approfondir une relation avec les uns et les autres.

Peux-tu expliquer ou décrire ce que t’apporte cette pratique ?

Cette démarche m’habite vraiment, nonobstant le résultat. Je suis méditative, pas une « gigoteuse » et la pratique artistique approfondit et enrichit ce caractère. Par exemple lorsque je fais du portrait il y a une relation forte avec le modèle. Elle a d’ailleurs a été largement exploitée dans des écrits sur le rapport entre le modèle et l’artiste. Autre exemple, je peux rester pendant ¾ d’heure à dessiner un bananier et à la fin nous nous connaissons intimement.

Parfois il me vient un sourire parce que j’observe quelque chose que je n’avais pas vu avant.  Cela me donne des délices d’approche des choses, des gens, de la vie. Cette pratique prend une place importante dans la vie.  Je vis seule et  elle alimente mon colloque intérieur. Je trouve que cela érotise mon rapport au monde. C’est un truc fort, essentiel au sens propre du terme et qui me ravit. J’approfondis et j’aiguise mon rapport au monde.

Parfois le résultat n’est pas là mais j’ai  appris à passer outre. On apprend davantage de ses erreurs que de ses réussites, le regard critique c’est positif. J’ai développé des aspects de ma personnalité dont je ne me savais pas détentrice. Avant j’étais spontanée, à faire d’un premier jet et ne plus revenir sur le travail. A une certaine époque tu m’aurais dit que je pouvais faire dans l’endurance je t’aurais regardé avec des yeux d’escargot en te disant «  mais de quoi tu parles ? ». J’évolue et c’est cadeau. Je peux avoir un recul critique sur mon travail.

Certains lendemains quand je me retrouve en tête à tête avec ma réalisation de la veille je me dis « il vaut mieux en rire ».  Cela ne me dépite pas pour autant. Je me dis « Claude cela fait la sixième fois que tu fais cette bourde ». Et je reprends le travail.

Je découvre certains pans de ma personnalité que je ne connaissais pas.  De la même façon je découvre certains  aspects du monde.

As-tu suivi un apprentissage de cette pratique ?

Il y a deux voies pour pratiquer l’art. La voie royale qui est les beaux-arts. L’autre,  royale aussi, est  de partir directement sans autres bagages qu’un peu de culture. Cette culture comme je l’ai dit plus haut je l’ai acquise en fréquentant expositions et musées.  Mais là aussi ma façon de regarder a évolué.  Je passe du temps à regarder, à me demander comment ce truc-là est fichu.

J’ai commencé par les cours  de modèle vivant, j’ai mis la barre assez haut. La couleur ne m’intéressait pas au début, je préférais la « ligne », je donc suis allée à la ligne, au dessin.

Puis je me suis dirigée vers l’apprentissage de l’aquarelle, une technique rapide. J’aime bien ce qui va vite.  Je peux dessiner n’importe où,  rehausser mes traits d’un peu d’aquarelle.

Pour la peinture j’ai été sollicitée par deux copains qui souhaitaient se regrouper pour prendre des cours avec un peintre Vincent. Nous avons commencé ensemble et nous sommes très chouchoutés par Vincent. Il respecte nos styles et nous propose des solutions lorsque nous sommes bloqués. Il a aussi une gourmandise à nous accompagner.

Je vais à  un atelier une fois par mois « ombre et lumière ». Il m’aide beaucoup.

Se retrouver en situation d’apprentissage en tant que pédagogue et commencer par le  b.a.-ba dans le dessin et la peinture est intéressant. Je commence à sortir des situations d’apprentissage qui ont été parfois coûteuses. Je fais des liens entre mon expérience du modèle vivant, le travail du portrait, la peinture.

As-tu déjà exposé ?

Oui, j’ai fait une exposition collective avec le groupe de Vincent dans un jardin. Cela a été une petite épreuve car montrer son travail à d’autres est difficile. Finalement j’ai aimé car c’était le regard de trois peintres différents sur des mêmes lieux. Les retours ont été très fructueux pour moi. Pendant longtemps je ne m’exposais pas même chez moi. Depuis peu j’ai trouvé ma descente d’escalier pour y réfugier mes travaux. A  terme, je pense exposer en collectif avec le groupe d’aquarellistes.  Je ne pense pas à une expo personnelle.

As-tu déjà vendu ?

Non, mais j’ai eu une commande et je l’ai réalisé dans l’énergie, c’était un bouquet de pivoines à l’acrylique

Te réfères-tu à une école, un groupe artistique connu ?

J’ai une passion pour quelques œuvres ; la pietà d’Avignon ou le retable de Grunenwald, une œuvre puissante qui m’a donné  un choc.  J’ai  déjà cité Rembrandt. J’aime le 19ème finissant, plusieurs impressionnistes dont Claude Monet surtout à la fin de sa carrière car il passe à autres choses.    Plus on se rapproche  de la peinture du 21ème siècle, plus je deviens éclectique.  La peinture contemporaine m’émeut aussi mais je n’arrive pas à être intéressée par les installations.

J’aime Rembrandt pour la sensibilité.  C’est un sismographe poétique attentif et à l’opposé de l’exubérance de Picasso.  Je suis admirative des séries de Picasso. Ces deux peintres avaient le goût de la vie.

Ceux que j’admire ont leur œuvre derrière eux.  Je suis au début du début.  Je ne sais pas si j’ai quelque chose à exprimer.  Je suis dans le faire.  Je m’interroge sur des trucs techniques (par exemple le rapport des couleurs entre elles). Pour l’instant je n’ai pas des questions de fond comme : qu’ai-je voulu exprimer ? Quels moyens ai-je utilisé pour cela ?

Peux-tu citer une œuvre que tu aimes particulièrement ?

J’ai un rapport particulier au tableau de Berthe Morisot un côté non finito qui m’intéresse beaucoup : dire peu mais juste. Je l’ai retenu aussi pour le travail sur les blancs.

Jeune fille assise

Berthe Morisot, Jeune fille assise devant la fenêtre dit l’été (détail), musée Fabre, Montpellier

Peux-tu compléter cette phrase « cette année j’ai l’intention de… » ?

D’approfondir mes approches.  Je me sens bien accompagnée et soutenue dans cette démarche. Je considère qu’il faut atteindre un certain niveau de connaissance pour faire des connections entre ceci et cela. J’en suis arrivée là.

Je retrouve cette énergie que j’ai eue en tant qu’enseignante et je l’oriente vers la pratique artistique.

Je m’interroge sur le faire, pas sur la finalité.  Je n’en suis pas à construire un projet pour l’instant.

Peux-tu compléter cette phrase « je rêve de… » ?

Essayer de faire de l’abstrait sans pour abandonner le figuratif.  J’ai un blocage avec l’abstrait qui n’est pas levé.

Continuer à éprouver les bonheurs du monde.

Tu as choisi 3 œuvres pour les présenter sur ce site, peux-tu dire pourquoi tu les as choisies ?

Un paysage de saint George d’Orques que j’appelle « la route » un petit travail traité rapidement. Je l’ai réalisé en une seule séance et j’ai eu un bonheur avec ce tableau.

La route

La route, acrylique, 41×27 cm

Le deuxième c’est un four à chaux étrange, silencieux, en somme une «  nature  silencieuse ». Je me suis sentie bien à cet endroit et je l’ai exprimé par la matière.

Le four à chaux

Le four à chaux, acrylique, 40 x 50 cm

Le 3ème ce sont des ellébores et j’ai aimé travailler sur un fond foncé en surplomb. J’ai pu aller jusqu’aux transparences.

Ellébores

 

Ellébores, acrylique, 35×27 cm

 

Entretien réalisé le 29 mars 2016

 

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